Le Jeune Karl Marx, Peck, 2017 - bande annonce
« Les classes dominantes peuvent bien trembler devant une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien d’autre à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Si les dernières lignes du Manifeste du Parti communiste, publié en 1848, sont passées à la postérité, c’est que pour Marx et Engels, ses deux signataires, le communisme n’a rien d’une utopie. Au contraire, il se confond avec un « mouvement réel », appelé à renverser « l’état actuel des choses ».
Après le succès de I Am Not Your Negro, un film sur la lutte de James Baldwin contre les discriminations raciales, Raoul Peck poursuit son exploration critique des inégalités économiques et sociales en réalisant Le Jeune Karl Marx, en salles le 27 septembre.
Le réalisateur confie dans un entretien avoir « découvert l’œuvre de Karl Marx à 17 ans » comme une « révélation ». Il en retient un enseignement fondamental, écrit noir sur blanc dans les Thèses sur Feuerbach : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, ce qui importe, c’est de le transformer ».
Raoul Peck en tire les conséquences avec Le Jeune Karl Marx, retraçant le parcours qui mène cet enfant de bourgeois, né à Trèves en 1818, à la rédaction du Manifeste du Parti communiste, trente ans plus tard. Pour le cinéaste, il n’est pas uniquement question de théorie ! « Dans Le Jeune Karl Marx, j’ai voulu contextualiser, découvrir les êtres humains derrière les concepts de communisme ou de lutte des classes, affirme-t-il. Il n’y avait pas de différence entre ce que ces jeunes gens écrivaient et ce qu’ils vivaient. » De fait, Marx, son épouse Jenny et son ami Engels ont « vécu la précarité dans leur chair, les soucis matériels n’avaient rien d’un simple objet d’étude détaché de leur réalité ».
Aventure intellectuelle internationale
Après avoir rompu avec leurs classes respectives – bourgeoisie de Karl et aristocratie de Jenny –, le couple renonce à un avenir bien tracé pour défendre leurs convictions. Marx affirme sa passion pour la philosophie – il soutient une thèse sur la Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure – et le journalisme – il devient rédacteur en chef de la Rheinische Zeitung (« La Gazette rhénane »), un organe d’opposition que le pouvoir prussien censure. Émigré à Paris, pour y échapper, il rencontre l’anarchiste russe Bakounine et le socialiste français Proudhon, ainsi qu’Engels, qui devient rapidement son complice. Par son soutien financier, ce fils d’industriel allemand permettra au héraut de l’idée communiste de consacrer sa vie à l’écriture. Forcé à émigrer à nouveau en 1844, Marx, apatride, quitte Paris pour Bruxelles – où il crée avec son acolyte « La Ligue des communistes », faisant paraître dans la foulée Le Manifeste –, puis Bruxelles pour Londres.
Raoul Peck ravive autant une histoire de passions et d’amitiés qu’un mouvement de dimension européenne. En recherchant les prémices et les ressorts de cette aventure intellectuelle internationale, il donne du corps à la pensée. Se méfiant « de toute théorie qui se réclamait de [Marx] sans se soucier de son incarnation », l'ex-ministre de la Culture de la République d'Haïti brosse la trajectoire d’une révolte, une fresque plus qu’historique, entre documentaire et fiction, non sans longueurs. Après I Am Not Your Negro, il incite, une fois de plus par l’exemple, non seulement à interpréter le monde, mais à le changer. Pas peu !